mardi 1 avril 2008

Monsieur le Révérend de Paisley et sa guitare.

Glasgow est la troisième ville du Royaume-Uni. Ca n'est pas pour autant une métropole gigantesque, mais tout de même une ville de taille respectable, avec son centre fourmillant, son quartier décomplexé un peu bohème, ses coins résidentiels gentiment intimidant, ses rues encadrées de bureaux cachés derrière les façade majestueuses et impassibles de maisons victoriennes, ses tours et bloc d'immeubles tristes et gris, ses recoins délaissés et délabrés, ses ruelles glauques et ses chantiers poussièreux. Et les habitants, les passants, les mendiants, les étudiants, les marchands. [Tout ça, je l'ai déjà plus ou moins dit ici, mais mon penchant affirmé pour les digressions introductives et mon besoin de m'échauffer un peu, depuis le temps que je n'ai pas écrit dans ce blog, me poussent à le répéter avant d'en venir au fait. Je continue, donc.] Pour égayer toutes ces pierres et occuper tout ces gens, il y a des cinémas, des théâtres, des musées, des parcs, des pubs, des clubs - Glasgow est la troisième ville du Royaume-Uni, on a dit. Parfois en vrac, parfois en grappe.

En grappe, comme sur Sauchiehall Street. Sauchiehall Street est difficilement contournable par l'apprenti glasgwegian, puisque c'est une des principales artères de la ville, grande ligne qui sur la carte relie les tréfonds de West End au centre névralgique qu'est Buchanan Street. Alors, mieux vaut apprendre à prononcer son nom: dans Sauchiehall Street, il y a "ch", cette sonorité bizarre entre le [k] et le [h] aspiré vaguement teintée d'une ombre de [r] étouffé, qui infeste les noms alambiquées des gares de la cambrousse écossaise : Balloch, Lochwinnoch, Drumgelloch, Lochgelly, Lochuichart, ce genre de trucs imprononçables... Bref, ça nous donne quelque chose du genre "Sokh'ieh'ol Strit" (et pas "Saucissol", ni "Sushihall").
Une fois qu'on sait prononcer ça (enfin, avant de savoir, c'est autorisé aussi), on peut aller découvrir les charmes de la rue, pas très belle en fait, mais qui peut se vanter d'avoir une des sinon la plus forte concentration de pubs, bars, clubs, salles de concerts et autres antres où occuper ses soirées de Glasgow. [et là, enfin, je ne vais pas tarder à en venir au fait]

Une des ces antres porte le doux nom de Nice'n' Sleazy, que je ne traduirai pas pour la simple et bonne raison que je n'arrive pas à trouver de traduction convenable (un "chic et pas cher" version trash, peut-être. ou peut-être pas.), mais qui accessoirement est aussi le titre d'une chanson des Stranglers, si vous voulez tout savoir. Quand on rentre, il y a deux portes peintes en rouges; l'une mène au bar, l'autre mène à la cave. Il faut prendre celle qui mène à la cave, évidemment, mais pas n'importe quel jour. Il faut y aller un lundi, à partir de 20h, si on veut voir Monsieur le Révérend de Paisley et sa guitare, entouré de son Eglise iconoclaste.

En guise de chaire, une scène ; en guise d'autel, un ampli et un micro ; en guise de relique, une vieille guitare folk qui en a vu d'autres ; en guise de fidèles, une assemblée relativement jeune d'étudiants fatigués, de glasgwegiens décalés et de musiciens discrets ; en guise de prière, des chansons, et en guise d'ostie du pop corn au caramel, que le maître de cérémonie fait passer dans le public entre deux performances.
Grand chauve aux airs de mulots, à mi-chemin entre un gangster sympathique et un Monsieur Loyal qui aurait perdu sa moustache, le maître de cérémonie quand il ne distribue pas du pop corn, invite l'assistance à s'installer aussi confortablement que possible, demande le silence, et présente les musiciens, qui se succèdent sur le tabouret sur la scène pour jouer chacun une chansons. Il y a par exemple "la Reine du Sleazy" aux airs de Boucle d'Or et à la voix angélique, qui chante sur les librairies, Thomas, comme "toucher était lire et lire était savoir et savoir était possible". Ou le brun aux cheveux trop longs cachés sous un gros bonnet de laine grise qui reprend Keep The Car Running en se montrant à lui seul presque aussi convaincant que toute la clique de Win Butler et Régine Chassagne. Ou le duo Tchèque. Ou cet autre duo qui joue First Day Of My Life. Ou le folkeux qui reprend une chanson de Richard Thompson parce que Supergrass joue au Cropredy Festival, en expliquant que "the folkies among you will understand the connection" (parce que Richard Thompson est un des membres fondateurs de la Fairport Convention, qui est à l'origine du Cropredy Festival et l'organise et le clôt en août tous les ans depuis les seventies, merci Wikip' mon bon ami de me permettre de ne pas faillir à ma réputation de folkie).

Au milieu de cette coalition mouvante trône Monsieur le Révérend de Paisley, qui vient jouer tous les lundi des chansons sur les crottes de nez de son neveu ou les déceptions amoureuses d'un exilé en URSS de sa voix grave et modulable, colorée par un accent écossais (n'est pas révérend de Paisley qui veut) et accompagnée de sa fidèle guitare. Monsieur le Révérend de Paisley est grand, mince, avec un bouc chatain et peut-être un faux air de prêtre païen, mais il n'a pas de soutane, et c'est heureux. Monsieur le Révérend de Paisley et sa guitare démontrent aussi que New York n'a pas le monopole de l'antifolk, qui n'est d'ailleurs pas du folk du pauvre, ni du folk sans queue ni tête, juste du folk qui se prend pas la tête car il n'a pas peur de la perdre. Enfin, en fait, Monsieur le Révérend de Paisley et sa guitare ne cherchent sans doute pas à démontrer quoique ce soit, ils rappellent juste que la musique, c'est comme le vin, les caves et les bars lui font du bien. Et ce que la musique de Monsieur de Révérend de Paisley et de son Altesse la Reine du Sleazy a, que le vin n'a pas, c'est qu'elle se marie très bien avec les pop corn au caramel.

www.nicensleazy.com

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