jeudi 15 novembre 2007

Mystères écossais #1

Après près de deux mois en immersion sur le territoire écossais, si certaines étrangetés ont fini par révéler leur sens et leur logiques intrinsèques (le cas Irn Bru, les Pound Stores, l'heure de fermeture des magasins, qui s'explique dès que la nuit commence à enfler, ou encore les feux rouges et passages piétons, en fin de compte compréhensibles, par exemple), d'autres restent définitivement obscures et indéhiffrables. Petit inventaire (pas forcément exhaustif) des énigmes locales insolubles :


• Qui vole le chapeau de Wellington?
A Glasgow, il y a beaucoup de statues. Mais la plus connue, c'est certainement celle de Wellington. Wellington, c'était un général (écossais je suppose, quoique je suis pas allée vérifier) qui a dû se battre contre Napoléon et probablement gagner, ou un truc comme ça -pardonnez l'ostensible inexactitude historique, j'ai décidé de boycotter Wikipédia aujourd'hui, là comme ça tout d'un coup. Bref, tout ça n'est pas très important, parce que de toute façon, il est mort. Mais à Glasgow, comme je l'ai dit, on lui a fait une statue, avec une de son cheval en dessous, et on a mis les deux (Wellington et le cheval) sur un piédestal sur St Vincent Square, tout pile au milieu de Glasgow. Derrière, on a mis la Gallery of Modern Art. Et je ne sais pas si c'est lié, ou si c'est simplement que quelqu'un, observant qu'à Glasgow, les hivers sont froids (c'est pas très difficile), a décidé de prendre en charge la statue qui ne pouvait pas bouger et de lui offrir un chapeau pour lui tenir chaud aux oreilles, mais toujours est-il que Wellington est traditionnellement chapeauté. Il fallait faire avec les moyens du bord, on a donc fait avec un pylône, enfin un cône de circulation, enfin ce truc conique à rayures rouges et blanches qu'on trouve au bord de routes et qui en Français n'a pas vraiment de nom, parce que ça y en a tout plein partout en Ecosse. Du coup, ça fait plusieurs années que Wellington est connu pour son beau chapeau.
Sauf que, des fois, le chapeau disparaît. Parfois un jour, parfois des semaines. Parfois il réapparait sur la tête du cheval, ou sur celle d'une autre statue à l'autre bout de Glasgow, ou sous la forme d'une botte en carton... Qui s'amuse donc à escalader la statue pour lui ôter son chapeau? Sûrement pas quelqu'un qui chercherait un pylône, il y en a partout on l'a déjà dit. Sûrement pas quelqu'un qui chercherait un chapeau non plus, ça va de soi. Le vent alors? Un Edimbourgeois jaloux? Le fantôme de Napoléon???


• Qui fait chanter les oiseaux?
Dans le monde normal, les oiseaux chantent des fois, quands ils sont contents, ou qu'ils cherchent une âme soeur, ou je ne sais quoi. En général, les oiseaux ont une horloge biologique assez sophistiquée, qui fait que ces célébrations musicales de cultes volatiles se tiennent plutôt à l'aube, ou en courant de journée. Mais à Glasgow, que nenni! Les oiseaux sont probablement aussi ivres et déséquilibrés qu'un étudiant écossais de première année un samedi soir en fin de semestre, et leur horloge biologique a des petits problèmes de réglages, parce qu'ils sont capables de chanter à n'importe quelle heure. A n'importe quelle heure, mais de préférence en pleine nuit, c'est plus rigolo. pPs en pleine nuit à 18h, hein, en vraie pleine nuit, c'est-à-dire vers 23h, minuit, deux heures du matin... Du coup, on s'endort en ayant l'impression que le jour se lève, ce qui est passablement perturbant, quoiqu'on finit par s'y faire. Mais reste la question de ce qui pousse les oiseaux à chantonner gaiement à pareilles heures... Le vapeurs d'alcool et les relents de brasserie? Les résultats des matchs de foot? Les taquineries des Haggis en vadrouilles? Le fantôme de Napoléon???


• Qui peint les guitares en rose?
A Glasgow, il y a des marchands d'instruments de musique. Jusque là, rien de bien extraordinaire, surtout quand on prend en considération la quantité de musiciens que la ville abrite. Bien sûr ces marchands d'instruments de musiques vendent des guitares, et pas qu'un peu... des noires, des blanches, des brunes, des rousses, des basses, des électriques, des rouges, des douzes-cordes, des miniatures... et surtout, des roses. Car oui, la seule chose que vous pouvez être absolument sûrs de dénicher quel que soit le magasin d'instruments de musique où vous vous rendez, c'est une guitare rose... tout format, tout type, de la folk classique au ukulele. La seule explication plausible à ce phénomène pourrait être un amour immodéré du glaswegian pour le rose, observable aussi lorsque passe une limousine rose (celles-ci se sont d'ailleurs un peu raréfiées ces derniers temps). Mais le problème, c'est qu'à part les guitares et les limousines, il n'y a pas grand chose de rose bonbon dans le coin. D'où la question, qui s'amuse à peindre les guitares (et les limousines quand il en passe) en rose? M qui fait sa promo? Un flamand rose échappé du zoo? La panthère rose? Un fan de Pink Floyd? Le fantôme de Napoléon???


• Où ont disparu les livres de la bibliothèque?
L'université de Strathclyde, comme toute université qui se respecte, possède une bibliotèque, avec des centaines de mètres d'étagères croûlant sous le poids des livres, réparties sur six étages. Il y a des livres sur un peu tout, et tous sont directement accessibles... en théorie, du moins. Parce que dans les faits, ça marche beaucoup moins bien. Les choses ne sont pourtant pas tellement plus compliquées que dans n'importe quelle bibliothèque universitaire : le catalogue est informatisé et consultable via Internet ; on y entre la référence du livre qu'on cherche, et il nous indique le statut du livre (emprunté ou pas?) ainsi que la côte qui permet de le trouver dans le labyrinthe d'étagères. Muni(e) de cette précieuse suite de lettres et de chiffres, code indéchiffrable par qui n'est pas bibliothécaire, on peut ensuite s'aventurer dans les allées intimidantes de l'imposant bâtiment, en suivant les panneaux repères, jusqu'à arriver au point souhaité et indiqué par le code. Normalement, ces épreuves surmontées, on devrait être récompensé de sa tenacité par la présence de l'ouvrage tant convoité. Sauf que, pas forcément. Parce que les livres qui ne sont pas en prêts ne sont pas forcément sur les étagères, il faut vérifier - "check shelves", nous propose gentiment le site de la bibliothèque. Souvent, on vérifie et y a rien. Et on revient, et y a toujours rien. Et on rerevient, et y a toujours toujours rien... Alors, qui? comment? où? pourquoi? Un papivore compulsif? Des rats de bibliothèques boulimiques? Un serveur informatique taquin qui s'amuse à jouer des tours aux novices? Le fantôme de Napoléon, soucieux de gommer certaines références embarassantes???


• Qui dessine des silhouettes sur les trottoirs?
Dans les films et séries policières - je n'ai jamais vu de crime en vrai, moâ, ce sont donc mes seules références en la matière - après un meurtre, on retire le cadavre, parce que ça fait désordre et que quand ça commence à se putréfier, ça sent pô bon. Accessoirement, ça serait bêta que les policiers et le génial inspecteur Sherlock Poirot trébuchent sur un corps inanimé et se fassent mal en plein exercice de leurs fonctions. Mais comme il faut quand même garder une trace (souci d'exactitude scientifique, blablabla), on prend une craie blanche et on trace le contour du cadavre, histoire de se rappeler où il était et dans quelle position (ça peut toujours servir).
A Glasgow, il arrive de tomber nez à nez (ou plus exactement, pied à pied, voire pied à nez si on s'y prend bien) avec une de ces silhouettes de craie tracée sur un trottoir. J'ose espérer que ce ne sont pas des monuments en la mémoire d'assassinés notoires, parce que vu le nombre (relativement honorable sans être faramineux), ça serait inquiétant. Alors? Encore une fois, mystère... L'origine de l'appellation de Scotland Yard? La lubie d'un détective retraité et gâteux qui s'invente des scènes de crimes pour occuper ses après midi? Une oeuvre d'art conceptuel et décorative? Le fantôme de Napoléon qui dans un accès de mégalomanie s'amuse à imprimer sa silhouette fantômatique dans les rues???


• Qu'est-il arrivé à Virgin?
Glasgow était réputé pour posséder le plus grand Virgin Mégastore d'Europe, en haut de Buchanan Street, à deux pas de la statue de Donald Dewar ("Scotland's first First Minister ever"). Mais voilà, depuis quelques jours, il n'y a plus de Virgin à Glasgow. Les enseignes rouges et blanches des deux succursales locales ont été remplacées par des enseignes vertes et noires, le nom "Virgin" remplacé par un sybillin "zavvi.co.uk"... Je reconnais que ce mystère est plus facilement résoluble que les autres, mais mon boycott de Wikipédia décidé aujourd'hui pour aujourd'hui m'autorise à m'interroger : d'où vient cette atteinte à la suprématie virginesque? Un dépucelage de la marque? Une crise de folie de Richard Branson, qui aurait soudain décidé que Virgin, tout compte fait, c'était moche, comme nom? Un coup du fantôme de Napoléon, qui fait de ces caprices débiles, des fois...???



• Où est caché le studio de Kevin Ayers?
Dans un accès de vagabondage comme il m'en a pris souvent depuis que je suis arrivée en Ecosse, cherchant déséspérément un vague prétexte à une énième errance à travers les rues de Glasgow, et, plus encore qu'un prétexte, une direction à emprunter, je me suis rappelée les crédits du dernier album du Sieur Ayers : "Recorded at: Marlborough Farms, Brooklyn; Wavelab, Tucson AZ; Eastcote, London; Yip Jump, Glasgow." Ni une ni deux, googelisons "Yip Jump Glasgow" histoire d'avoir l'adresse, jetons un coup d'oeil à un plan de Glasgow, et voilà une destination de pélerinage absurde toute trouvée pour occuper son après midi! Une rapide (et efficace) investigation permet de localiser le studio Yip Jump au 222 West Regent Street, Glasgow (ça, on savait, merci), G2 4DQ, c'est-à-dire quelque part à l'ouest du centre, tout au bout d'une des grandes rues qui forment la trame du bizness-Glasgow, un quartier propret et huppé rempli de bâtisses victoriennes converties en cabinets d'avocats, en bureaux d'experts financier ou en studio de décorateurs branchés. Pas l'endroit le plus exaltant de la ville pour une randonnée pédestre, mais après tout, pourquoi pas. Je me suis donc hardiment dirigée à travers les collines vers la fin de West Regent Street, à la recherche du numéro 222. Bien sûr, au bout de West Regent Street, j'ai trouvé un Novotel, un hôtel Ibis, un grand bâtiment-à-bureaux, mais point de 222 et encore moins de studio Yip Jump d'où serait sorti, comme par magie, un Kevin Ayers.
Ce n'était pas vraiment surprenant, certes. N'empêche, le Kevin Ayers, il a bien dû l'enregistrer quelque part, son album, et les gens qui vont bosser leurs chansons chez Yip Jump, ils doivent bien y rentrer par quelque part, dans ce fichu studio! Mais par où? Comment fait-on pour pénétrer dans l'enceinte sacrée? Faut-il une invitation spéciale? Une clé de chambre du Novotel? Un numéro d'étage? Une autorisation de Daniel Johnston, qui tient à surveiller la fréquentation d'un studio qui emprunte son nom à un de ses disques? Une guitare rose? Un mot de passe gracieusement fourni par le fantôme de Napoléon???

Glasgow recèle donc plus que sa part de mystères... Gageons qu'il faudra du temps pour résoudre tout ça, si solution il y a, et que d'autres énigmes se feront un plaisir de venir se poser d'ici juin... Du boulot en perspective pour Sherlock Poirot, tout gâteux et retraité qu'il soit (ça n'aide pas faut dire).... Souhaitons lui bon courage, il en aura besoin, plutôt que de perdre son temps à encore se chamailler avec le fantôme de Napoléon (qui d'après mes sources s'est, assez incompréhensiblement, relocalisé à Glasgow, peut-être pour narguer les Anglais, à ceci près que les Anglais n'habitent pas à Glasgow du tout, à moins que ce ne soit pour faire des conneries en toute impunité, vu les compétences de la section écossaise de Scotland Yard, indignement représentée par le gâteux retraité Sher(ry)lock Poi(v)rot).

Remerciements :





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