lundi 9 juin 2008

Bringing it all back home.

Un jour, tout le monde s'en est allé. Alors, il a bien fallu s'en aller aussi. Et même si ça faisait une bonne dizaine de jours que le refrain "That's so weird" résonnait dans tous les coins, personne n'y était vraiment préparé.
Personne, surtout pas moi, ni Barbara d'ailleurs, qui avons poussé le vice jusqu'à réserver nos billets de retour moins d'une semaine avant le retour en question (après avoir passé trois semaines à repousser l'échéance, la procrastination étant un art qui se travaille). Pourtant les gens partaient petit à petit, au compte goutte, d'abord Simon-le-Chicagoan, qui s'est envolé trois semaines avant tout le monde, ensuite Jordi-le-Catalan, qui a pris la route fin mai, puis Megan qui était partie d'Atlanta en janvier et a quitté notre appart' pour Raleigh où sa famille a déménagé entre temps, et sûrement plein d'autres que j'oublie. Mais tant qu'on est encore là... on est encore là. Jusqu'à ce qu'on n'y soit plus, parce qu'on n'a pas réussi à oublier qu'il fallait rendre les chambres le 7 juin, 10h, au plus tard (gageons que le campus ne nous aurait pas laissé l'oublier, de toute façon).

Alors il faut ranger, aspirer, nettoyer, remettre les meubles à leur place de départ, déshabiller les murs, vider les placards, piller les frigo, dépouiller les réfrigérateurs, gaver gaver gaver gaver les valises. Et puis amonceller les sac poubelles, bourrés à craquer de tout ce que les valises refusent d'avaler, c'est-à-dire beaucoup de choses ; d'ailleurs, tout d'un coup, une zone d'ombre a été levée sur le mystérieux comportement de la femme de ménage.

*** Tiens, je vais en profiter pour faire une petite digression sur la femme de ménage. Enfin, la Cleaning Lady, avec des majuscules s'il-vous-plaît ! La Cleaning Lady est une petite femme toute menue, plus toute jeune mais pas encore trop veille, aux cheveux blondasses coupés courts et vêtue d'un uniforme bleu marine de cleaning lady. Tous les mercredi matins, juste après le (toujours, même après 8 mois) terrifiant test-alarme-incendie de 10 secondes, elle vient "nettoyer" la cuisine, les toilettes, la salle de bain et les escaliers. Alors, elle nettoie, oui, bien sûr, la preuve, ça pue l'eau de javel (et la cigarette, aussi) à 300m à la ronde après son départ. Mais elle nettoie à sa façon c'est-à-dire qu'elle amène son balais et son seau, et puis elle amène son journal, et son paquet de cigarettes, et elle commence par s'asseoir dans les escalier, poser son balais et son seau sur une marche, et fumer une première cigarette. Si on passe, elle se pousse un peu pour laisser la place, elle dit gentiment et avec un grand sourire "Hi there dear how's't goin'" (à peu près), et voilà. Parce qu'elle ne peut pas vraiment fumer dans les appart', vous comprenez, les détecteurs de fumée, tout ça. Mais comme les marches, c'est moyennement confortable, elle fini par se rendre dans l'appart, et s'asseoir dans le canapé pour lire son journal. Bien sûr, si quelqu'un rentre dans la pièce à ce moment, elle se lêve et s'empresse de commencer à nettoyer, en engageant très gentiment et avec un grand sourire la conversation (malheureusement, comprendre la Cleaning Lady est un art délicat, que 8 mois ne suffisent guère à maîtriser ; les conversations sont donc souvent assez brêves et confuses). Une fois qu'elle a fini de nettoyer la cuisine (qui n'est vaiment propre que parce que quelqu'un a déjà passé le balais la veille au soir), elle passe aux toilettes, puis à la salle de bain, et finalement, s'en va. Parfois s'ensuit une perplexité chez les locataires de l'appart' : mais, qui donc est sous la douche, puisque nous sommes toutes là? Réponse, vous l'aurez deviné, personne, la Cleaning Lady a juste oublié de fermer le robinet.
Chaque semaine, elle laisse une trace de son passage. Un cadeau, en quelque sorte, même si c'est toujours le même : deux feuilles de papier aluminium pour le grill, et 8 sacs poubelles. Sachant qu'on en utilise en moyenne 3 ou 4 par semaine, je vous laisse calculer le nombre de sac poubelle dans nle palacard sous l'évier à la fin de l'année. Fin de la digression, car sur ce... ***

Nous avons donc compris pourquoi la femme de ménage laissait autant de sacs poubelle chaque semaine : elle savait qu'à un moment donné, nous aurions besoin de très largement dépasser notre consommation moyenne habituelle de sacs poubelles, parce que nous aurions beaucoup, beaucoup à jeter. Elle avait raison (même si elle l'a pas fait exprès, mais ça, Dieu seul le sait, et encore, c'est même pas sûr), et au moins, nous avons éviter le stress de la pénurie de sacs poubelle. Faut dire qu'on n'en avait pas besoin. Par contre, les trois survivantes que nous étions ont eu besoin d'un pack de glace Bohemian Raspberry de chez Ben & Jerry, de deux bouteilles de vin blanc et d'une de Corona comme anesthésiants pour venir à bout de cette orgie de balançage de 8 mois de vie dans des valises et/ou des poubelles. Précisons que Barbara et moi n'avons rien trouvé de mieux à faire pour occuper la moitié de la soirée, que de peindre une assiette et de discuter politique et philosophie au milieu des débris de cette hécatombe de souvenirs. (Eva, elle, est restée un peu plus maîtresse de ses sens, et s'est contentée pour l'essentiel de nous regarder, amusée, en se disant sans doute qu'elle ne retrouverait pas de sitôt des colocataires de ce genre, ne serait-ce que parce qu'elle n'a pas prévu de se remettre en colocation. Et puis aussi, Eva devait quitter l'appart à 3h30, pour prendre un avion qui décollait à 6h15, elle avait donc beaucoup moins de temps. Même si ce n'est pas la peine de faire semblant, elle est organisationellement beaucoup moins catastrophique que Barbara et moi, c'est certain).

Le lendemain matin, par contre, comme le vin blanc, la Corona et la glace s'étaient définitivement évaporé, était beaucoup moins drôle, parce qu'il ne restait plus que quelques bols entassés sur la table du salon, deux ou trois tasses restées ici histoire qu'on puisse boire un dernier thé avant le départ, et des sacs poubelles gisant à côté des valises - enfin bouclées- dans le couloir. Et Barbara encore ensommeillée, sur le point de se retrouver seule locataire de l'appartement déserté (première arrivée, dernière partie, même si juste à quelques heures prês les deux fois). Les flashbacks se bousculent, mais pas le temps pour eux, au-revoirs (pas trop longs, parce que mince, les au-revoirs, c'est jamais qu'une formalité - difficilement contournable - mais immanquablement douloureuse), "See you in Mongolia - no, I'll see you before that anyway! ", et balabambam les bagages dégringolent maladroitement les escaliers. [Ils étaient VRAIMENT trop lourds.]




Silence
VLADIMIR. - Ca a fait passer le temps.
ESTRAGON. - Il serait passé sans ça.
VLADIMIR. - Oui. Mais moins vite.

Un temps
ESTRAGON. - Qu'est-ce qu'on fait maintenant?
VLADIMIR. - Je ne sais pas.

- Samuel Beckett.

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